Alimentaire, mon cher Watson !

Par Zevoulon
mercredi 3 avril 2013
par  Paul Jeanzé
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Le dernier chapitre de Chemini est entièrement consacré aux règles de la cacherout, à ce qui est autorisé à la consommation et à ce qui ne l’est pas. Pour résumer rapidement :

– les animaux terrestres ne sont autorisés que s’ils sont à la fois ruminants et ont le sabot fendu

– les poissons autorisés doivent avoir des écailles et des nageoires

– pour les oiseaux, est donné une liste d’oiseaux non autorisés

– pour les insectes, quatre espèces de sauterelles sont autorisées.

D’une certaine façon, la Torah nous offre là un joyeux inventaire à la Prévert, sans raton laveur ni douzaine d’huitres (sont-ils casher d’ailleurs ?), qui échappe alors à toute logique. Peut-être pouvons-nous éventuellement réserver une place particulière au porc, dans la mesure où cet animal semble assez symbolique de la superficialité des choses du monde d’en bas. C’est ainsi que nous devons nous montrer méfiant vis à vis des apparences, souvent trompeuses, et de nos impressions premières et primaires. Il est alors préférable de réagir à froid plutôt qu’à chaud, Nadab et Abihou en ayant fait, à cet égard, la plus tragique des expériences. Le texte nous met d’ailleurs en garde par deux fois dans le verset 7 : le porc, qui a bien le pied corné, qui a même le sabot bifurqué… Prenons donc le temps de nous arrêter quelques instants et observons. Observons attentivement le porc au-dessus de sa mangeoire : il baisse la tête, attrape quelques céréales et … ne rumine point. Nous avons bien fait d’attendre un peu avant de nous décider ! Extrapolé à l’ère de notre société dite moderne, on pourrait même y voir un éloge à une réflexion longuement réfléchie plutôt qu’à une prise de décision hâtive et hâtée (et athée ?). Certes, ne confondons pas non plus vitesse et précipitation, et n’oublions pas qu’il faut également parfois agir rapidement selon les cas, ainsi qu’il est dit :

Il y a quatre genres de tempérament (parmi les hommes). Celui qui est prompt à se mettre en colère mais prompt à se calmer compense son défaut par sa qualité. Celui qui est difficile à irriter mais également difficile à apaiser efface sa qualité par son défaut. Celui qui est lent à s’irriter et prompt à s’apaiser est un homme pieux. Celui qui s’irrite facilement et s’apaise difficilement est un méchant. Pirké Avot – V, 15

Chemin faisant, nous nous sommes quelque peu éloignés de notre sujet de départ, et ainsi qu’il est également dit, les digressions et les routes de traverse peuvent parfois nous mener nulle part :

Ayez donc soin d’observer ce que l’Éternel, votre Dieu, vous a ordonné ; ne vous en écartez ni à droite ni à gauche.
Deutéronome, V 28

Revenons donc à nos moutons et peut-être nous faut-il alors maintenant éviter de tenter de trouver une explication à chaque règle de la cacherout, explication qui aurait comme seule raison d’être de nous rendre plus logique et agréable l’accomplissement de l’ensemble de ces pratiques alimentaires. En effet, comme le rappelle Nehama Leibowitz (en méditant la Sidra Vayikra) : Toute traduction de ces mots en notions empruntées à l’hygiène, à la psychologie, au rationalisme ou à la morale n’est qu’une déformation de leur sens véritable, spécifique et de leur véritable intention. Pour nous mettre la puce à l’oreille, voici comment se conclut le chapitre 11 de Vaykra :

Car je suis l’Éternel, qui vous ai tirés du pays d’Égypte pour être votre Dieu ; et vous serez saints, parce que je suis saint. Telle est la doctrine relative aux quadrupèdes, aux volatiles, à tous les êtres animés qui se meuvent dans les eaux et à tous ceux qui rampent sur la terre ; afin qu’on distingue l’impur d’avec le pur, et l’animal qui peut être mangé de celui qu’on ne doit pas manger. »
XI, verset 45 – 47

La raison la plus profonde des interdits alimentaires est ainsi l’interdiction en elle-même. Par l’intermédiaire de la cacherout, le Saint, béni soit-il souhaite nous rappeler, au jour le jour, que nous ne sommes finalement « que » des hommes, ainsi qu’il est dit :

Pourquoi le saint, béni soit-il, qui lui avait enjoint de manger tout arbre du jardin, lui refusa-t-il la jouissance de l’un d’entre eux ? Afin qu’Adam, qui voyait cet arbre tout le temps, se souvînt ainsi de son Créateur, prit conscience du joug que Celui qui l’avait formé lui imposait et qu’il n’en vînt pas à s’enorgueillir.
Midrach Tadché – Chapitre VII

Et quel meilleur moyen que celui-là que de nous obliger à ne pas considérer tout espèce vivante du monde terrestre et aquatique comme étant nécessairement à notre disposition pour remplir nos congélateurs ? Plutôt que de jeter un froid sur nos habitudes alimentaires, la cacherout est ainsi un formidable outil pour nous faire réfléchir sur le sens même que nous devons donner à la vie et ainsi nous aider à dépasser la dualité du conforme et du non conforme, du pur et de l’impur, du Bien et du Mal afin de nous rapprocher de la spiritualité et de la sainteté ainsi qu’il est dit : et vous serez saints, parce que je suis saint.

La matsa, qui aura été, si j’ose dire, notre pain quotidien pendant les fêtes de Pessah, vient de nous obliger, pendant ces neuf jours, à être encore plus attentif à nos pratiques alimentaires. Et si nous sortons libéré de Pessah, ce n’est pas parce que nous pouvons de nouveau consommer du ‘hametz, mais bien parce que nous aurons pris le temps de prendre conscience de la relation unique qui nous uni au Saint, béni Soit-il. Et quand on sait que la matsa est la conséquence d’un départ précipité qui mènera les hébreux vers leur libération, on se dit qu’il est alors vraiment préférable de ne pas toujours vouloir tout le temps tout expliquer. Alimentaire, n’est-il pas ?


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