H comme...
par
Haizi (1964 – 1989)
Face à la mer
Dès demain, je m’engage à être un homme heureux :
nourrir les chevaux, fendre le bois, parcourir le monde
dès demain, j’aurai souci du grain et des légumes
je possèderai une maison, face à la mer
au printemps doux s’ouvrent les fleurs
Dès demain j’écrirai à tous mes proches,
je leur dirai mon bonheur
ce que les foudres de cette félicité m’ont dit
à chaque homme je le dirai
pour chaque rivière, pour chaque montagne je choisirai
un nom qui tiendra chaud
Etranger ! sur toi aussi je porte ma faveur
je te souhaiterai un avenir éclatant,
que la vie te destine à celle que tu aimes,
qu’en ce monde de poussière tu captures le bonheur
pour moi, je veux seulement que face à la mer
au printemps doux s’ouvrent les fleurs
Raoul Hausman (1886 – 1971)
Fleur bleue
Le poète se doit de dormir et de rêvasser dans une tour d’ivoire.
Réfléchissez, combien de dents d’éléphants sont nécessaires pour bâtir une telle bâtisse.
Pour être bien installé, il en faut quelques dix milles.
Le poète a besoin de s’allonger, de bien se soigner, car il ne doit jamais rien manger, il doit avoir constamment faim, autrement sa fantaisie ne fonctionne point.
Alors, toujours allongé au premier étage, le rez-de-chaussée serait trop banal, trop proche des gens vulgaires.
Il faut être un peu élevé, pour se sentir tout naturellement plus haut perché que les autres.
Mais les éléphants sont maintenant rares et protégés, on ne peut plus avoir facilement même mille dents à la fois. Ce n’est pas étonnant, qu’il n’y ait plus de vrais poètes qui se laissent mourir de faim avec des belles images très romantiques, avec des rêves splendides, qui regorgent de poésie.
Seulement, peut conséquent, personne ne sait plus ce qu’est la vraie poésie poétique.
Parbleu, par manque de dents d’éléphants, par l’impossibilité de construire des tours d’ivoire, nous nous trouvons dans une belle situation !
Si l’on ne trouve pas rapidement quelques milliers de dents d’éléphants, on n’aura plus le moindre grand poète !
Victor Hugo (1802 – 1885)
La coccinelle
Elle me dit : Quelque chose
Me tourmente. Et j’aperçus
Son cou de neige, et, dessus,
Un petit insecte rose.
J’aurais dû – mais, sage ou fou,
A seize ans on est farouche,
Voir le baiser sur sa bouche
Plus que l’insecte à son cou.
On eût dit un coquillage ;
Dos rose et taché de noir.
Les fauvettes pour nous voir
Se penchaient dans le feuillage.
Sa bouche franche était là :
Je me courbai sur la belle,
Et je pris la coccinelle ;
Mais le baiser s’envola.
– Fils, apprends comme on me nomme,
Dit l’insecte du ciel bleu,
Les bêtes sont au bon Dieu,
Mais la bêtise est à l’homme.
Demain,dès l’aube…
Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.