Propos sur le bonheur (Alain)
Alain
Propos sur le bonheur (1928)
Voici le jardin du philosophe. On y cueillera des fruits mûris sur le tronc de la sagesse commune et dorés à cette autre lumière des idées. Ils en reprennent leur saveur d’origine, qui est le goût de l’existence. Saveur oubliée en nos pensées ; car on voudrait s’assurer que l’existence est bonne et on ne le peut ; on en déçoit donc l’espérance par précaution, prononçant qu’elle est mauvaise. De là s’étend l’empire de l’imagination déréglée, en quoi Alain, se confiant à la sagesse du corps, restaure la souveraineté claire de l’homme heureux et qui n’attend pas pour l’être, ici et non ailleurs, que l’événement lui donne raison, acteur enfin et non spectateur de soi-même.
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Préface
Émile Chartier, dit Alain (1868-1951), est né dans la petite ville de Mortagne-au-Perche, qui lui consacre aujourd’hui un remarquable musée. Fils de vétérinaire et tenant de sa mère, « belle femme aux grands traits », la forte structure percheronne, il offrait avec assurance le type accompli de (…)
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Dédicace à Mme Morre-Lambelin
Ce recueil me plaît. La doctrine me paraît sans reproche, quoique le problème soit divisé en petits morceaux. Dans le fait le bonheur est divisé en petits morceaux. Chaque mouvement d’humeur naît d’un événement physiologique passager ; mais nous l’étendons, nous lui donnons un sens oraculaire ; (…)
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I. Bucéphale
Lorsqu’un petit enfant crie et ne veut pas être consolé, la nourrice fait souvent les plus ingénieuses suppositions concernant ce jeune caractère et ce qui lui plaît et déplaît ; appelant même l’hérédité au secours, elle reconnaît déjà le père dans le fils ; ces essais de psychologie se (…)
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II. Irritation
Quand on avale de travers, il se produit un grand tumulte dans le corps, comme si un danger imminent était annoncé à toutes les parties ; chacun des muscles tire à sa manière, le cœur s’en mêle ; c’est une espèce de convulsion. Qu’y faire ? Pouvons-nous ne pas suivre et ne pas subir toutes ces (…)
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III. Marie triste
Il n’est pas inutile de réfléchir sur les folies circulaires, et notamment sur cette « Marie triste et Marie joyeuse » qu’un de nos professeurs de psychologie a heureusement trouvée dans sa clinique. L’histoire, déjà trop oubliée, est bonne à conserver. Cette fille était gaie une semaine et (…)
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IV. Neurasthénie
Par ces temps de giboulées, l’humeur des hommes, et celle des femmes aussi, change comme le ciel. Un ami, fort instruit et assez raisonnable, me disait hier : « Je ne suis pas content de moi ; dès que je ne suis plus occupé à mes affaires ou au bridge, je tourne dans ma tête mille petits motifs (…)
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V. Mélancolie
Il y a quelque temps, je voyais un ami qui souffrait d’un caillou dans le rein, et qui était d’humeur assez sombre. Chacun sait que ce genre de maladie rend triste ; comme je le lui disais, il en tomba d’accord ; d’où je conclus enfin : « Puisque vous savez que cette maladie rend triste vous ne (…)
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VI. Des passions
On supporte moins aisément la passion que la maladie ; dont la cause est sans doute en ceci, que notre passion nous paraît résulter entièrement de notre caractère et de nos idées, mais porte avec cela les signes d’une nécessité invincible. Quand une blessure physique nous fait souffrir, nous y (…)
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VII. Crainte est maladie
Je me souviens d’un canonnier qui lisait dans les mains. Il était bûcheron de son métier et formé par cette vie sauvage à l’interprétation immédiate des signes ; je suppose qu’à l’imitation de quelque autre sorcier il s’était mis à observer aussi le creux des mains ; et c’était là qu’il lisait (…)
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VIII. De l’imagination
Lorsque le médecin vous recoud la peau du visage, à la suite de quelque petit accident, il y a, parmi les accessoires, un verre de rhum propre à ranimer le courage défaillant. Or, communément ce n’est point le patient qui boit le verre de rhum, mais c’est l’ami spectateur, qui, sans en être (…)