XXVI

mardi 31 octobre 2023
par  Paul Jeanzé
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Tandis que le soleil de thermidor se couchait dans une pourpre sanglante, Évariste errait, sombre et soucieux, par les jardins Marbeuf, devenus propriété nationale et fréquentés des Parisiens oisifs. On y prenait de la limonade et des glaces ; il y avait des chevaux de bois et des tirs pour les jeunes patriotes. Sous un arbre, un petit Savoyard en guenilles, coiffé d’un bonnet noir, faisait danser une marmotte au son aigre de sa vielle. Un homme, jeune encore, svelte, en habit bleu, les cheveux poudrés, accompagné d’un grand chien, s’arrêta pour écouter cette musique agreste. Évariste reconnut Robespierre. Il le retrouvait pâli, amaigri, le visage durci et traversé de plis douloureux. Et il songea : « Quelles fatigues, et combien de souffrances ont laissé leur empreinte sur son front ? Qu’il est pénible de travailler au bonheur des hommes ! À quoi songe-t-il en ce moment ? Le son de la vielle montagnarde le distrait-il du souci des affaires ? Pense-t-il qu’il a fait un pacte avec la mort et que l’heure est proche de le tenir ? Médite-t-il de rentrer en vainqueur dans ce comité de Salut public dont il s’est retiré, las d’y être tenu en échec, avec Couthon et Saint-Just, par une majorité séditieuse ? Derrière cette face impénétrable quelles espérances s’agitent ou quelles craintes ? »
Pourtant Maximilien sourit à l’enfant, lui fit d’une voix douce, avec bienveillance, quelques questions sur la vallée, la chaumière, les parents que le pauvre petit avait quittés, lui jeta une petite pièce d’argent et reprit sa promenade. Après avoir fait quelques pas, il se retourna pour appeler son chien qui, sentant le rat, montrait les dents à la marmotte hérissée.
– Brount ! Brount !
Puis il s’enfonça dans les allées sombres.
Gamelin, par respect, ne s’approcha pas du promeneur solitaire ; mais, contemplant la forme mince qui s’effaçait dans la nuit, il lui adressa cette oraison mentale :
« J’ai vu ta tristesse, Maximilien ; j’ai compris ta pensée. Ta mélancolie, ta fatigue et jusqu’à cette expression d’effroi empreinte dans tes regards, tout en toi dit :
« Que la terreur s’achève et que la fraternité commence ! Français, soyez unis, soyez vertueux, soyez bons. Aimez-vous les uns les autres… »
Eh bien ! je servirai tes desseins ; pour que tu puisses, dans ta sagesse et ta bonté, mettre fin aux discordes civiles, éteindre les haines fratricides, faire du bourreau un jardinier qui ne tranchera plus que les têtes des choux et des laitues, je préparerai avec mes collègues du Tribunal les voies de la clémence, en exterminant les conspirateurs et les traîtres. Nous redoublerons de vigilance et de sévérité. Aucun coupable ne nous échappera. Et quand la tête du dernier des ennemis de la République sera tombée sous le couteau, tu pourras être indulgent sans crime et faire régner l’innocence et la vertu sur la France, ô père de la patrie ! »

L’Incorruptible était déjà loin. Deux hommes en chapeau rond et culotte de nankin, dont l’un, d’aspect farouche, long et maigre, avait un dragon sur l’œil et ressemblait à Tallien, le croisèrent au tournant d’une allée, lui jetèrent un regard oblique et feignant de ne point le reconnaître, passèrent. Quand ils furent à une assez grande distance pour n’être pas entendus, ils murmurèrent à voix basse :
– Le voilà donc, le roi, le pape, le dieu. Car il est Dieu. Et Catherine Théot est sa prophétesse.
– Dictateur, traître, tyran ! il est encore des Brutus.
– Tremble, scélérat ! la roche Tarpéienne est près du Capitole.
Le chien Brount s’approcha d’eux. Ils se turent et hâtèrent le pas.


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Des "mauvaises nouvelles" qui donnent de la voix

Mardi 07 mai 2024

En ce début de semaine, Monsieur Éric Lebret mettait sa voix au service d’une de mes nouvelles, intitulée Un bon coup de balai. Ce "comédien-voix" avait déjà mis son talent au service de deux autres "mauvaises nouvelles" :

Au bout du chemin
Très chère amie

Cher Monsieur Lebret, si vous deviez passer par ici, sachez combien votre initiative m’a touché et m’encourage à reprendre le chemin de l’écriture, chemin le long duquel il m’aura été nécessaire de quelque peu "marquer le pas" ces trois dernières années, même si mes chères poézies auront continué à m’accompagner pendant cette période.

À bientôt
Paul Jeanzé