Irai-je au bout de mes rêves ?
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L’emprisonnement de Joseph s’achève lorsque Pharaon fait un songe : il est au bord du fleuve, sept vaches décharnées y dévorent sept vaches belles et grasses. Puis un second : sept épis de blé maigres et brûlés y avalent sept épis sains et pleins. Sur le conseil de l’échanson [1], Joseph est alors appelé auprès de Pharaon pour interpréter les deux rêves. Sept années d’abondance, annonce‑t‑il, seront suivies par sept années de famine. Joseph recommande que pendant les sept premières années le blé soit amassé et entreposé sous la possession du pharaon. Ce dernier le nomme alors gouverneur de toute l’Égypte. Joseph épouse Asnat, la fille de Potiphar, qui lui donne deux fils, Manassé et Ephraïm.
Quelques citations en vrac qui font rêver (ou non).
- Si vous pouvez le rêver, vous pouvez le faire ! Walt Disney
- Les rêves sont faits pour être réalisés ! Anonyme
- Fais de ta vie un rêve, et d’un rêve, une réalité. Saint-Exupéry
- La différence entre vos rêves et la réalité, c’est qu’il y en a aucune. Tous vos rêves peuvent devenir réalité. Patronyme peu connu
Et en guise d’apothéose, chantons tous en chœur avec Jean-Jacques Goldman
Tout au bout de mes rêves
J’irai au bout de mes rêves
Où la raison s’achève
Tout au bout de mes rêves
Maintenant, reprenons nos esprits, retrouvons la raison et arrêtons de rêver ! Car comme le rappelle de façon pragmatique [2] le proverbe yiddish : « Un rêve de beignets, c’est un rêve, et non pas des beignets. »
Une femme va voir Rabbi Eliezer pour lui raconter son rêve, à savoir qu’un morceau de sa maison se détache avant de s’effondrer sur le sol. Rabbi Eliezer interprète ainsi le rêve : tu auras un fils. Et effectivement, quelques mois plus tard, la femme donne naissance à un fils. Deux années plus tard, la femme fait de nouveau le même rêve. Elle retourne voir Rabbi Eliezer qui interprète le rêve de la même façon. Et une deuxième fois, la femme donne naissance à un fils.
Trois années plus tard, la femme fait encore ce même rêve et s’en retourne prendre conseil auprès de Rabbi Eliezer. Ce dernier étant absent, la femme se tourne alors vers ses disciples ; et les disciples d’interpréter le rêve de la façon suivante : « ton mari va mourir ! » Apprenant la nouvelle à son retour, Rabbi Eliezer sermonne alors ses disciples : « Malheureux que vous êtes ! Vous avez tué cet homme ! »
Que nous enseigne cette petite histoire ? Que pour la Torah, les rêves ne se réalisent pas en tant que tels, mais parce qu’ils ont été interprétés. Ce n’est pas le rêve qui se réalise, mais l’interprétation du rêve. Et c’est d’ailleurs ce qui se passe dans le cadre du rêve de Pharaon.
Au-delà de l’interprétation habituelle des deux rêves de Pharaon (la famine à venir et les moyens de s’en prémunir), on pourra également s’étonner que ce soient les vaches maigres, à priori les plus faibles, qui dévorent les vaches grasses, et non l’inverse. Car malheureusement, comme aime à nous rappeler Jean de La Fontaine dans le loup et l’agneau, « la raison du plus fort est toujours la meilleure. » Et pourtant, si l’on met la fable de côté, l’Histoire n’est-elle pas là pour nous rappeler que pendant que les empires les plus puissants disparaissaient sous les flammes, l’étincelle juive, même vacillante, continuait de briller ?
La paracha Mikets tombe au moment de la fête de Hanoukha, fête qui célèbre la victoire d’une petite troupe de combattants, les Maccabées (les vaches maigres), sur l’une des plus puissante armée du monde, l’armée grecque (les vaches grasses). Un tel scénario (rêvé) ne tient-il pas du miracle ? De la même manière que l’ascension fulgurante de Joseph qui, d’esclave étranger et emprisonné – « Là était avec nous un jeune hébreu, esclave du chef des gardes. » (Berechit, 41,12) – sera nommé quelques année plus tard gouverneur de toute l’Égypte par Pharaon, comment ne pas voir là un parallèle entre le destin hors du commun de Joseph, et le destin hors du commun de cette petite fiole d’huile trouvée dans le Temple qui ne pouvait brûler qu’une journée et qui pourtant illumina le temple pendant huit jours ! À défaut de faire rêver, cela fait réfléchir…
Pour continuer avec quelque chose de plus personnel et terre-à-terre, souvent il m’arrivait de rêver que je perdais (toutes) mes dents (nous sommes plus proches du cauchemar que du rêve d’ailleurs). Sachez que ce rêve est évoqué dans le choul’han Aroukh [3] :
Le Choul’han Aroukh (Hilkhot Chabbath, 288,5) écrit qu’il est conseillé de jeûner pour ce rêve. Cependant, si c’est difficile pour vous, vous pouvez donner la Tsédaka (l’équivalent des repas d’une journée) en remplacement du jeûne.
Le Rav Ovadia Yossef écrit qu’il faut dans ce cas faire Téchouva et augmenter le temps consacré à l’étude de la Torah. Grâce à cela, votre rêve n’aura aucune portée négative.
Il est ainsi possible de conclure que si l’on rêve de perdre ses dents, c’est en raison d’une étude insuffisante de la Torah. Je dois avouer que cela fait quelques années que je n’ai plus fait ce rêve, mais je reste prudent, car il m’arrive bien souvent de me casser les dents sur la difficulté de tel ou tel verset de la Torah.
Cette paracha arrivant à son terme, il est temps de paraphraser ainsi Marc-Alain Ouaknin : « Il est maintenant prouvé que l’homme ne descend pas du singe. Non, l’homme descend du songe... »
Bon repos chabbathique ; et surtout : faites de beaux rêves...
[1] Celui qui était chargé de servir à boire à une divinité, à un roi, à un prince.
[2] Qui s’attache à l’action, aux aspects concrets d’une affaire, plutôt qu’à la théorie ; qui envisage avant toute chose l’utilité, l’efficacité.
[3] Le Choulhan Aroukh (hébreu : שולחן ערוך « table dressée ») est un code de Loi juive compilé par Joseph Karo au xvie siècle.