L comme...

lundi 14 décembre 2020
par  Paul Jeanzé
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Louise Labbé (1526 – 1566)

je vis, je meurs

Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J’ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m’est et trop molle et trop dure.
J’ai grands ennuis entremêlés de joie.

Tout à un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j’endure ;
Mon bien s’en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup je sèche et je verdoie.

Ainsi Amour inconstamment me mène ;
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.

Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.


Jacques Lovichi (1937 – 2018)

Mourir dans l’île Au sud du Sud

Ô barbara furtuna
Lamentu
À Frédéric Jacques Temple

1.

Dépossédés
là-bas bien au-delà de la crête des vagues
franchis le ciste et l’arbousier
la combe d’où s’enfuit le merle des légendes
là-bas après les cols aux rousseurs de perdrix
après les bergeries aux toits couverts de ronces
après les oliviers les châtaigniers les sources
tout un peuple s’endort
sous la mousse du temps

2.

Dépossédés
oui
arrachés vifs à nos mémoires
malaxés dans le bruit et la fureur des villes
nom perdu langue morte à jamais confondus
vannés et dispersés par les vents de l’Histoire
lampe à huile brisée aux dalles de nos tombes
qui sommes-nous qui n’avons plus
les grandes voix de nos anciens
pour nous parler à la veillée
de l’odeur forte de la poudre

3.

Dépossédés bannis rejetés désormais
étrangers à nos propres terres
ne sachant plus saisir la truite dans l’écume
ni sécher le raisin sur la claie de fougère
ni allumer le feu dans le granit
noirci
qui sommes-nous
ombres que guettent d’autres ombres
dans le crépuscule à venir

4.

Les noires vestales
debout
derrière la chaise de l’homme
ou laissant tomber les trois gouttes
de la veilleuse dans l’assiette
pour conjurer le mauvais œil
et le velours des épopées
poire à poudre pierre à fusil
là-bas sur l’étendue des cendres
le poing crispé au manche du stylet
remous des siècles dans l’eau noire
qu’en sauront-ils
ceux qui viendront

5.

Et ce n’est point douleur
cela
juste une flamme qui vacille
sous le souffle froid de l’hiver
une perle de gel à la pointe d’une herbe
un incertain reflet
dans l’œil ou dans la vitre
Et ce n’est point non plus
nostalgique regret
mais seulement mémoire frémissante
d’un monde aujourd’hui fracassé
d’un temps qui fut notre jeunesse
juste avant le froid de l’oubli

6.

Dépossédés
volés de tout ce qui est nous
pourtant
jusqu’aux grands rites de passage
jusqu’au grès du coin de fenêtre
jusqu’au crissement des insectes
à l’appel du renard dans la blancheur de l’aube
jusqu’aux syllabes de nos noms
jusqu’à cette douleur de l’âme
qu’éraille
le sable
des jours

7.

Mais nous dépossédés
meurtris
ne sachant qui nous sommes
nous reviendrons mourir
où nous ne sommes nés
nous reviendrons mourir
du moins par la pensée
nous reviendrons mourir
dans notre île qui meurt


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Des "mauvaises nouvelles" qui donnent de la voix

Mardi 07 mai 2024

En ce début de semaine, Monsieur Éric Lebret mettait sa voix au service d’une de mes nouvelles, intitulée Un bon coup de balai. Ce "comédien-voix" avait déjà mis son talent au service de deux autres "mauvaises nouvelles" :

Au bout du chemin
Très chère amie

Cher Monsieur Lebret, si vous deviez passer par ici, sachez combien votre initiative m’a touché et m’encourage à reprendre le chemin de l’écriture, chemin le long duquel il m’aura été nécessaire de quelque peu "marquer le pas" ces trois dernières années, même si mes chères poézies auront continué à m’accompagner pendant cette période.

À bientôt
Paul Jeanzé