De la compréhension à la vision

Par Gérard Touaty
samedi 27 février 2021
par  Paul Jeanzé
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L’un des huit vêtements que portait le Cohen gadol (le grand prêtre) durant son service dans le Temple était le "tzitz", sorte de fine plaquette d’or accrochée sur son front sur laquelle étaient gravés les mots "consacré à Hachem". ceci, expliquent nos Maîtres, pour lui faire prendre conscience à chaque instant de la responsabilité qui lui incombait face à Hachem. On trouve, cependant, dans le Talmud un commentaire allant dans un sens bien différent : le "tzitz" avait pour fonction d’expier l’insolence.

Qu’est ce que l’insolence ? C’est, pourrions-nous dire, le refus d’accepter une situation évidente au point, s’il le faut, de la combattre. Pour illustrer cette tendance, nos Maîtres citent l’exemple d’Amalek. Amalek est un peuple qui attaqua Israël au sortir de l’Égypte. Alors que tous les peuples furent impressionnés par les miracles qui marquèrent cet événement, Amalek, refusant cette réalité, engagea le combat contre le peuple juif. La défaite qui l’attendait lui importait peu. Son seul but était d’ouvrir une brèche dans l’unité d’Israël en dépit de la certitude qu’il n’y gagnerait rien. Une formule résume bien cette obstination : "Il connaît (la grandeur de) son maître et (malgré tout) se rebelle contre lui".

Être indulgent

Si dès lors l’insolence symbolise une opposition si forte à la sainteté, comment pouvait-elle être inscrite en allusion sur le front d’Aarone (qui fut le premier Cohen gadol) ? En d’autres termes, quelle insolence, un homme aussi saint et aussi grand spirituellement que lui, avait-il à réparer ? Lorsqu’un mur s’effondre, dit un dicton, les pierres les plus élevées tombent le plus loin. L’homme qui, chaque jour, s’investit dans l’étude de la Thora est confronté à deux inclinations : la prise de conscience croissante de la grandeur de Hachem d’une part, mais d’autre part une autre prise de conscience : celle que lui aussi est intellectuellement élevé et profond puisqu’il peut comprendre la sagesse de Hachem. Insidieusement, cette dernière inclination peut devenir négative au point de se muer en insolence.

Se croyant proche de Hachem, par la proximité qui a avec Lui dans l’étude, il se permettra une attitude orgueilleuse dans la pratique de son judaïsme niant par cela le but ultime de l’étude : l’humilité envers Hachem et son prochain. C’est cette dérive, au cœur même de la sainteté que les Pirké Avoth voulaient prévenir en affirmant : "Fais-toi un maître, acquiers-toi un compagnon d’étude et montre-toi indulgent envers chaque homme". Un étude de la Thora mal comprise peut nous conduire, par orgueil, au mépris d’un homme qui n’aurait pas atteint notre niveau de connaissance. C’est là une forme suprême d’insolence. Celle qui consiste à s’élever au-dessus d’un autre homme sous prétexte que l’on aurait consacré plus de temps que lui à l’étude alors que l’on n’est (comme lui) qu’un être de chair insignifiant devant Hachem.

L’insolence de la fin des temps

Comment parer à une éventualité si négative ? La plaquette en or que le Cohen gadol portait sur son front est désignée en hébreu par le mot "tzitz" - mot qui est aussi la racine hébraïque d’un verbe qui signifie "regarder". Ici se trouve la prévention à toute faille éventuelle dans notre spiritualité. On ne doit pas se contenter d’une étude intellectuelle de la Thora où Hachem serait simplement compris. Il nous faut étudier au point de pouvoir "regarder" Hachem au travers du monde matériel qui nous entoure. Si l’étude nous pénètre réellement, elle nous donnera les yeux pour voir la vie qui anime chaque chose de la Création. Et dès qu’il y a vision de Hachem la croyance n’est plus nécessaire puisque Hachem sera devenu pour nous une réalité physique ! Comment dès lors pourrions-nous nous rebeller contre Lui ? Mais le Hatam Sofer va plus loin.

Les mots qui y étaient gravés ("consacrés à Hachem") nous enseignent que s’il y avait nécessité de corriger l’insolence le meilleur moyen d’y parvenir était de le faire… en la consacrant à Hachem. Le Talmud nous dit en effet qu’avant la venue du Machia’h l’insolence augmentera. D’une manière positive cela signifie qu’en dépit d’un environnement hostile à tout véritable spiritualité, le Juif devra se renforcer dans son judaïsme sans tenir compte des vérités que le monde voudra lui imposer. Ce qui de sa part est une forme d’insolence.

Gérard Touaty (Actualité juive hebdo)


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