Rêveries du promeneur ordinaire

mardi 1er avril 2014
par  Paul Jeanzé
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En ouvrant la porte de la maison, je suis presque surpris par le calme qui a lui aussi envahi la rue. Le ballet matinal des livreurs, à l’exception des livreurs de pizza qui eux sont plutôt du soir, est maintenant terminé. Les poubelles ont retrouvé le noir quotidien d’un local commun ou le fond d’un garage. Le piéton peut de nouveau prendre possession du trottoir. Jusqu’à la prochaine fois. Je ferme ma porte, cligne légèrement mes yeux surpris par le soleil et descends paisiblement la rue. En quelques enjambées, je me retrouve dans la principale artère commerçante de la ville avec ses larges trottoirs blancs qui ne doivent leur éclat éphémère du matin qu’à la courageuse petite armée d’agents communaux qui inlassablement, jour après jour, perd son combat quotidien contre la saleté. D’habitude, je prends à droite et passe devant une multitude d’agences immobilières ou bancaires et autres magasins de chaussures et de vêtements, pour dames seulement, avant que la minuscule fromagerie m’offre enfin un asile salutaire et odorant. Aujourd’hui, j’ai préféré partir de l’autre côté afin de rentrer plus rapidement dans le parc du château. Et puis pour changer aussi. C’est bien parfois de changer. Je me retrouve devant une large place qui accueille le carrousel qui fait tourner la tête des enfants et je dois zigzaguer entre les chaises des deux cafés qui eux font tourner la tête des adultes pour traverser la place en direction de l’entrée du parc. Une fois ses grilles franchies, je passe devant un premier étang où la pancarte « il est interdit de marcher sur la glace » n’a pas été tournée afin que je puisse y lire « il est interdit de se baigner ». Un autre écriteau me rappelle également qu’il n’est pas autorisé de pique‑niquer, qu’il n’est pas autorisé de faire du vélo, qu’il n’est pas autorisé de marcher sur les pelouses et que je dois aussi tenir mon chien en laisse. Je me dis qu’il doit être heureux dans ce parc celui qui n’aime pas les chiens, déteste le sport (le cyclisme, le patin à glace et la natation notamment), que manger avec des amis sur une nappe à carreaux ennuie prodigieusement et qui de surcroît est allergique à l’herbe grasse et verte. Je continue ma progression.

La géométrie prend ses droits et ses droites, pas à pas, mètre après mètre à mesure que les tours aperçues dans le lointain d’une allée rectiligne m’obligent maintenant à lever la tête pour les voir dans leur intégralité. Une petite halte s’impose. Je remets tout en perspective et m’approche du grand bassin, passage presque obligé de toute promenade autour du château. À cet endroit, des marches descendent jusqu’à l’eau. Elles sont entourées par deux statues blanchâtres qui doivent certainement rappeler la Grèce mythologique. Je ne m’attarde pas devant les oies sauvages qui se sont depuis peu posées derrière les canards et les cygnes. Je les laisse à leur tintamarre. Je m’éloigne par quelques pas de côté dans un bruit de gravier écrasé m’installer sur un banc en bordure de ce qui semble avoir été un jour un verger. Derrière moi, un petit canal s’écoule tranquillement. Quelques anatidés solitaires se reposent au fil de l’eau. La vie sur terre est simple finalement, presque d’une naïveté confondante. On se lève et l’on jette un coup d’œil par la porte-fenêtre. Il fait beau ce matin-là et l’on décide alors d’aller faire un tour à pied dans le parc. On passe devant trois marches à partir desquelles les enfants lancent des morceaux de pain dans la mare aux canards et puis on part s’installer sur un banc d’où l’on regarde toute cette naïveté s’épanouir autour de nous. Un monde sans surprise finalement. Vraiment sans surprise. Mais n’est-il pas suffisant pour rendre heureux tout être humain ? Assis sur notre banc, on espère alors se retrouver là, plus tard, bien plus tard, et l’on a tout à coup une pensée pleine de tendresse pour les deux grands qui sont au lycée pour l’un, au collège pour l’autre, pour le tout petit qui est chez la nourrice et puis pour celle que l’on aime et que l’on retrouvera le soir et à qui l’on dira : « J’ai passé une excellente journée aujourd’hui. Elle était d’autant plus étonnante et reposante qu’elle était on ne peut plus ordinaire ».

C’est au milieu de ces rêveries du promeneur ordinaire que je vis l’homme au chapeau.


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