La plus belle histoire
par
Comme tous les matins, le père récitait à voix haute le premier paragraphe du Chéma Israël au plus jeune de ses fils, celui-ci n’étant pas encore en âge de le réciter lui-même à l’unisson avec son père. L’enfant commençait certes à prononcer quelques mots, mais pas suffisamment pour pouvoir faire un avec son père dans cette récitation. L’homme sentait son fils plus proche de lui qu’habituellement pendant cet instant privilégié, l’expression rieuse du garçonnet s’estompant alors pour laisser place à des yeux profondément attentifs. Le soir, quand son père le déposait délicatement dans son lit, au lieu du visage attentif du matin, les paupières de l’enfant se faisaient lourdes et ses yeux se fermaient. La prière du matin se transformait alors en une berceuse gardienne de la nuit.
Pourtant, un soir, alors que le père s’apprêtait à lire le Chéma Israël à son fils, celui-ci resta assis sur son lit, ses yeux ronds grands ouverts. Et ce n’est qu’après avoir longtemps fixé les yeux de son père qu’il lui demanda d’un seul trait : « Papa, raconte-moi la plus belle histoire que tu connaisses. » Ne voulant apparaître troublé, et ne voulant rompre avec le rite ancestral et familial, le père regarda également longuement son enfant en retour et lui répondit gravement : « Fils, laisse‑moi un peu de temps afin que je puisse réfléchir à la plus belle histoire que je connaisse. » Et de réciter le Chéma Israël, fidèlement à son habitude.
Le père ne ferma pas l’œil de la nuit, tournant sans cesse la question dans sa tête sans trouver l’ombre d’un début de réponse. Les récits hassidiques se mélangeaient les uns aux autres, les plus belles pages du Zohar virevoltaient devant ses yeux fatigués, tandis que les commentaires de Rachi se levaient tel un seul homme face à des Pirke Avot resplendissants de sagesse.
Le lendemain matin, dans un épais brouillard, le père récita tant bien que mal le Chéma Israël à son fils. Le soir, l’enfant resta assis quelques instants, en équilibre, les yeux ronds grands ouverts comme dans l’attente d’une réponse, avant de s’allonger, puis de paisiblement fermer les paupières. Cette situation dura six jours, six jours pendant lesquels le père ne trouva pas le repos.
Et puis, au soir du sixième jour, au moment où le père couchait son fils, il eut cette révélation et put enfin répondre sereinement à ce dernier :
« Au commencement… »