Préface

vendredi 11 août 2023
par  Paul Jeanzé
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Émile Chartier, dit Alain (1868-1951), est né dans la petite ville de Mortagne-au-Perche, qui lui consacre aujourd’hui un remarquable musée. Fils de vétérinaire et tenant de sa mère, « belle femme aux grands traits », la forte structure percheronne, il offrait avec assurance le type accompli de cette race d’éleveur de chevaux. Ainsi le philosophe en lui n’eut pas à consulter d’autre nature que la sienne pour y connaître les robustes appétits et les passions téméraires qui font un homme et le somment de se gouverner. Alain appartient à tous égards à la famille des Penseurs à vocation universelle. La raison chez lui parle à tous, c’est-à-dire en chacun à tous les niveaux de son humanité. Tel est le démocratisme profond de cet homme et de cette œuvre, qui par l’égalité (ce qui ne signifie pas l’identité) des besoins s’ouvre à l’égalité des conditions et n’admet de hiérarchisation que dans et par l’individu. Tel est aussi ce qui d’un rejeton de l’université républicaine fondée par Lachelier et autres vigilants esprits, devait faire surgir un grand écrivain de tradition française. De Lorient à Rouen, de Rouen à Paris, Alain fait pendant quarante ans (1892-1933) le métier de professeur de philosophie dans un lycée, exer­çant sur la jeunesse qui l’approche un incontestable ascendant, précisément parce qu’elle ne trouve en lui ni les manières ni le style d’un professeur. Les passions politiques et la misère des opinions partisanes (affaire Dreyfus, séparation de l’Église et de l’État, etc.) conduisent Alain au journalisme ; c’est là qu’il fait son apprentissage d’écrivain par l’invention originale des Propos qui paraissent quotidiennement dans La Dépêche de Rouen de 1906 à 1914, puis dans les Libres Propos de 1921 à 1936. En 1914, la guerre qu’il n’a cessé de combattre fait de lui, par son engagement volontaire à quarante-quatre ans, un artilleur dans la tranchée et sous le feu, témoin du plus meurtrier effet des passions, et cherchant là encore dans l’homme les causes de sa servitude. Ainsi sont composés au front les premiers de cette suite d’ouvrages qui, de Mars ou La Guerre jugée et du Système des Beaux-Arts jusqu’aux Dieux, développent en une ample peinture de l’homme (Les Idées et les âges) et une sévère méditation de l’existence (Entretiens au bord de la mer) un projet philosophique original et constant. On s’en souviendra utilement en ouvrant ces Propos sur le bonheur. Car ce n’est pas le moralisme mais la philosophie première qui sous-tendent la sagesse déliée des Propos qu’Alain consacre, au hasard des circonstances, à l’art d’être heureux. C’est dire plus simplement que le devoir d’être heureux est un bel excès de langage par quoi l’on se hâte d’affirmer que l’existence n’est pas dépendance mais puissance. Ainsi comme le héros se harcèle, la volonté se repaît d’injonctions. Qu’on ne s’y trompe pas.


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