Les Dieux ont soif (Anatole France - 1912)
« Ne me dis pas que la Révolution établira l’égalité, parce que les hommes ne seront jamais égaux ; ce n’est pas possible, et l’on a beau mettre le pays sens dessus dessous : il y aura toujours des grands et petits, des gras et des maigres. »
Cette réflexion choc prononcée par un des nombreux protagonistes du roman pourrait amener le lecteur à considérer « Les Dieux ont soif » comme un implacable réquisitoire de la période de la Terreur. Cela serait bien réducteur. Nous sommes avant tout en présence d’un texte remarquable où le romanesque, à l’aide d’un style et d’une mise en scène parfaitement maîtrisée est mis au service de la petite comme de la grande Histoire ; et bien entendu, du lecteur.
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I
Évariste Gamelin, peintre, élève de David, membre de la section du Pont-Neuf, précédemment section Henri IV, s’était rendu de bon matin à l’ancienne église des Barnabites, qui depuis trois ans, depuis le 21 mai 1790, servait de siège à l’assemblée générale de la section. Cette église s’élevait (…)
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II
Au sortir des Barnabites, Évariste Gamelin s’achemina vers la place Dauphine, devenue place de Thionville, en l’honneur d’une cité inexpugnable. Située dans le quartier le plus fréquenté de Paris, cette place avait perdu depuis près d’un siècle sa belle ordonnance : les hôtels construits sur les (…)
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III
III Dans l’après-midi du même jour, Évariste se rendit chez le citoyen Jean Blaise, marchand d’estampes, qui vendait aussi des boites, des cartonnages et toutes sortes de jeux, rue Honoré, vis-à-vis de l’Oratoire, proche les Messageries, à l’Amour peintre. Le magasin s’ouvrait au rez-de-chaussée (…)
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IV
Il était dix heures du matin. Le soleil d’avril trempait de lumière les tendres feuilles des arbres. Allégé par l’orage de la nuit, l’air avait une douceur délicieuse. À longs intervalles, un cavalier, passant sur l’allée des Veuves, rompait le silence de la solitude. Au bord de l’allée (…)
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V
À neuf heures du matin, Évariste trouva dans le jardin du Luxembourg Élodie qui l’attendait sur un banc. Depuis un mois qu’ils avaient échangé leurs aveux d’amour, ils se voyaient tous les jours, à l’Amour peintre ou à l’atelier de la place de Thionville, très tendrement, et toutefois avec une (…)
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VI
Dix heures du matin. Pas un souffle d’air. C’était le mois de juillet le plus chaud qu’on eût connu. Dans l’étroite rue de Jérusalem, une centaine de citoyens de la section faisaient la queue à la porte du boulanger, sous la surveillance de quatre gardes nationaux qui, l’arme au repos, fumaient (…)
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VII
Usant d’une très vieille façon de dire, la citoyenne veuve Gamelin l’avait annoncé : « À force de manger des châtaignes, nous deviendrons châtaignes. » Ce jour-là, 13 juillet, elle et son fils avaient dîné, à midi, d’une bouillie de châtaignes. Comme ils achevaient cet austère repas, une dame (…)
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VIII
La veille de la fête, par un soir tranquille et clair, Élodie, au bras d’Évariste, se promenait sur le champ de la Fédération. Des ouvriers achevaient en hâte d’élever des colonnes, des statues, des temples, une montagne, un autel. Des symboles gigantesques, l’Hercule populaire brandissant sa (…)
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IX
Évariste Gamelin devait entrer en fonctions le 14 septembre, lors de la réorganisation du Tribunal, divisé désormais en quatre sections, avec quinze jurés pour chacune. Les prisons regorgeaient ; l’accusateur public travaillait dix-huit heures par jour. Aux défaites des armées, aux révoltes des (…)
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X
Le samedi, à sept heures du matin, le citoyen Blaise, en bicorne noir, gilet écarlate, culotte de peau, bottes jaunes à revers, cogna du manche de sa cravache à la porte de l’atelier. La citoyenne veuve Gamelin s’y trouvait en honnête conversation avec le citoyen Brotteaux, tandis qu’Évariste (…)