Le sacrifice d’Its’hak : mourir pour des idées ?

Par Gérard Touaty
jeudi 28 octobre 2021
par  Paul Jeanzé
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Toutes les époques et toutes les idéologies ont connu leurs martyrs. Encore aujourd’hui des étudiants indiens donnent leur vie pour des idées et cette pratique loin d’être un accident de société fait partie d’un ensemble de valeurs aussi naturelles que pourrait l’être pour un occidental le droit de grève ou le droit de manifester. Et l’Histoire, parfois peu soucieuse de nuances rangera l’épisode du sacrifice d’Its’hak dans la même catégorie. C’est méconnaître la dimension réelle de ce "sacrifice", car pour la Tradition juive, on ne peut pas mourir pour des idées.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, donner sa vie pour un idéal n’est en aucune façon un acte irraisonné. Il obéit à une logique bien construite et cela même si son issue est la mort du martyr. Celui qui s’y soumet pense avant tout que son geste apportera un "plus" à la cause pour laquelle il a donné sa vie. Expression désespérée d’orgueil qui pousse l’individu à détériorer le seul bien qui ne lui appartient pas : son corps. De plus, le fait de mourir pour une idée suppose que l’on ait compris préalablement le bien fondé de cette idée ; pour qu’elle se perpétue ou qu’elle marque son temps. Et c’est précisément sur ce point qu’Avraham se démarque du modèle de martyr que l’histoire nous a donné.

Au-delà de la raison

Lorsque Hachem demande à Avraham de prendre son fils et de le tuer, le patriarche a 137 ans et a déjà connu 9 épreuves. Que pourrait-il lui manquer alors, puisqu’il avait surmonté chacune d’entre elles ? Cette épreuve sera en fait déterminante pour la naissance de l’identité juive. Lorsqu’on relit le texte qui relate le voyage d’Avraham avec son fils vers le lieu du sacrifice on peut penser au premier abord que l’épreuve réside dans l’événement en lui-même du sacrifice : la difficulté à surmonter la douleur à tuer son fils. La réalité est toute autre.

Ce jour-là Hachem demande à Avraham une chose humainement impossible : faire un acte qui n’obéissait à aucune logique, un acte où Hachem lui-même se remettait en cause. Comment Avraham pouvait-il tuer celui qui, selon la promesse divine devait donner naissance à une "grande nation" ? S’il le tuait qu’adviendrait-il de son devenir ? Mais pour Avraham il n’y a pas de question. Avant tout il y a un ordre. Et qu’importe si l’ordre ne cadre pas avec la raison. C’est là que se fonde l’identité juive. Comme pour Avraham, Hachem demande à chaque Juif de dépasser sa logique où le critère n’est plus l’homme mais Hachem. La grandeur d’Avraham tient aussi au fait qu’il fut le premier à donner sa vie à Hachem. C’est cette antériorité qui donna la force spirituelle au peuple juif par la suite d’affronter les plus cruelles épreuves de l’Histoire. Et toujours sur le même registre : subir le supplice du bûcher ou de la pendaison, non parce que le judaïsme c’est mieux (choix intellectuel) mais parce que (sans que l’on ne le comprenne) on ne peut pas être autre chose que juif.

Une destination inconnue

On comprendra dès lors aisément qu’une telle philosophie de la vie ne laisse pas de place à une quelconque forme d’orgueil ou de petite fierté puisque fondamentalement l’attachement au judaïsme ne repose sur aucun intérêt intellectuel dont le Juif puisse s’enorgueillir. C’est le "Le’h Le’ha" de Hachem à Avraham : Hachem demandera au premier Juif de partir vers une terre inconnue. Il s’agit là d’un défi extraordinaire à la raison. Comment un homme peut-il accepter un ordre (qui engagera tout un peuple) sans en connaître le but ? Mais c’est qu’Avraham est une nouvelle donnée de l’Histoire. Celle où l’homme mettra de côté sa volonté pour laisser parler le souffle divin qui le fait vivre.

Gérard Touaty (Actualité Juive hebdo)


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