Préface

vendredi 27 janvier 2023
par  Paul Jeanzé
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Préface de l’édition allemande

C’était à la fin de l’automne 1902. J’étais assis dans le parc de l’Académie militaire de Wiener-Neustadt, sous d’antiques châtaigniers. Je lisais. Ma lecture me prenait à ce point que je remarquai à peine qu’Horacek, aumônier de l’Académie, homme érudit et bon, venait vers moi. Il me prit des mains le volume que je tenais, contempla sa couverture et hocha la tête : « Poèmes de Rainer Maria Rilke ! » dit-il, songeur. Il feuilleta, parcourut quelques vers, jeta au loin un long regard et conclut : « Ainsi donc l’élève René Rilke est devenu un poète. »

Il m’entretint de Rilke, enfant chétif et pâle. Ses parents, quinze ans auparavant, l’avaient mis au Prytanée militaire de Sankt-Poelten, pour le préparer à la carrière d’officier. Horacek était alors aumônier de cette école. Il se souvenait fort bien de son élève d’autrefois. Rilke était un garçon silencieux, sérieux, très doué ; il se tenait volontiers à l’écart et supportait avec patience le joug de l’internat. Après quatre ans d’études, il passa avec ses camarades à l’École militaire supérieure, qui se trouvait à Maehrisch-Weisskirchen. Mais là, sa constitution devait se révéler par trop faible. Ses parents le retirèrent de l’école pour lui faire poursuivre ses études près d’eux, à Prague. Qu’était, depuis lors, devenue sa vie, Horacek n’en savait rien.

Sitôt après cet entretien, je décidai d’envoyer à Rainer Maria Rilke mes essais poétiques et de lui demander de les juger. Ayant à peine vingt ans, au seuil d’une carrière que je sentais en tout point contraire à mes goûts, je pensais que si quelqu’un devait me comprendre, c’était bien le poète de Mir zur Feier. Presque à mon insu une lettre prit naissance qui accompagna mes poèmes : je m’y ouvrais plus entièrement que je ne l’avais fait et que d’ailleurs je ne devais jamais le faire.

De longues semaines passèrent avant que la réponse ne me parvînt. Celle que je reçus enfin portait, avec un cachet bleu, le timbre de Paris et pesait lourd dans la main. L’écriture claire, belle et sûre, de l’enveloppe se retrouvait sur les feuillets de la lettre, de la première à la dernière ligne. Ma correspondance avec Rainer Maria Rilke, qui commençait ainsi, dura jusqu’en 1908. Ensuite elle s’espaça : la vie m’avait poussé sur des voies dont précisément aurait voulu m’écarter l’intérêt chaleureux, tendre et touchant du poète. Mais là n’est pas l’important. L’important, ce sont les dix lettres que voici. Elles valent pour la connaissance de cet univers, dans lequel Rainer Maria Rilke a vécu et créé ; elles valent pour ceux qui grandissent et se forment maintenant, pour ceux qui se formeront demain. Mais quand un prince va parler, on doit faire silence.
Franz Xaver Kappus.

Berlin, juin 1929.


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